Dès 1945, la romancière dénonce le malentendu sur lequel repose le modèle universel. Confondu depuis la nuit des temps avec le masculin, il voue la perspective des femmes au silence et à l’invisibilité. Oser écrire soi-même lorsqu’on est aussi illégitime que Jeanne Bornand – la narratrice ménagère et secrétaire de La Paix des ruches – c’est mettre à nu l’arbitraire sexué de toutes nos façons de voir. « Méfiez-vous donc de la femme qui se tait, » prévient Alice Rivaz, « le jour où elle prendra la parole, le monde en sera changé ! »
Le poète Jean-Georges Lossier (1911-2004) a été un ami fidèle d’Alice Rivaz. Il a contribué activement à la publication de La Paix des ruches et l’a encouragée, durant sa longue traversée du désert de 1947 à 1959, à ne jamais renoncer à l’écriture : « votre vrai travail ».
La réaction de l’écrivain vaudois Paul Budry est représentative d’un sentiment mufle de légitimité masculine, qui a souvent étouffé le débat féministe au XXe siècle. Pas plus que Mermoud, Ramuz n’a compris La Paix des ruches. Mais il admet qu’il n’a jamais réfléchi à la condition féminine tout en découvrant la différence entre « Mann » et « Mensch », que le français rend invisible.
En 1948, le journal Servir s’appuie sur La Paix des ruches pour dresser un état des lieux des rapports homme/femme en Suisse. Les réactions suscitées par le roman révèlent une différence d’interprétation marquée par le sexe : l’empathie exprimée par les lectrices suggère leur désir de voir changer la société, tandis que les lecteurs se contentent de désigner Jeanne comme responsable à titre individuel de son insatisfaction.
En 1947, soit deux ans avant Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, avant les romans féministes de la seconde moitié du XXe siècle, paraissait La Paix des ruches.
La romancière trouve les mots pour dire la vision des femmes et se fait gardienne des voix féminines disparues de l’Histoire.